2011/12/12

Internet Explorer: Délation(s)



2011/10/15

Internet Explorer: 4Chan (1)



2011/09/11

Internet Explorer: D'autres "11 septembre" ?



2011/09/03

Internet Explorer: Plongée dans la psyché de Steve Jobs



2011/07/11

Quel est votre score d’influence ?

La lecture de la semaine, elle nous vient du New York Times, et de Stephanie Rosenbloom, qui est reporter au service Style.
Imaginez un monde, commence Stephanie Rosenbloom, où nous serait assigné un nombre mesurant notre niveau d’influence. Ce nombre nous permettrait de grimper dans la hiérarchie, d’être surclassés dans les hôtels et de gagner des friandises au supermarché. Mais au cas où votre score d’influence serait bas, pas de promotion, pas de suite à l’hôtel, pas de petits gâteaux offerts.



Ce n’est pas de la science-fiction. Cela arrive à des millions d’usagers des réseaux sociaux.
Si vous avez un compte Facebook, Twitter ou LinkedIn, vous êtes déjà évalués – ou le serez bientôt. Des entreprises comme Klout, PeerIndex et Twitter Grader sont en train de classer des millions, potentiellement des milliards, de gens selon leur niveau d’influence – ou, dans leur jargon, de classer les “influenceurs”. Mais ces entreprises ne s’intéressent pas seulement au nombre de followers ou d’amis que vous avez amassés. Elles commencent à mesurer l’influence de manière plus fine, et elles postent leurs résultats en ligne, sous la forme de score.

Pour certains, il s’agit d’un outil passionnant – un de ceux qui vont dans le sens de la démocratisation de l’influence. Plus besoin d’être une célébrité, un homme politique ou une personnalité médiatique pour être considéré comme influent. Le “scoring social” peut aider à la construction de soi en tant que marque. Pour ceux qui sont plus critiques, cette pratique est celle d’un Nouveau Monde technologique où ce sera le score qui déterminera la façon dont vous serez traité par quiconque entrera en contact avec vous. “Il sera bientôt accessible publiquement aux gens que vous rencontrez, à vos employeurs”, explique un professeur de marketing à la journaliste.

Ces scores d’influence peuvent s’étaler de 1 à 100. Chez Klout, le principal acteur de ce secteur, le score moyen se situe dans la dizaine. Un score de 40 suppose une influence forte, mais de niche. Si vous atteignez 100, vous êtes Justin Bieber. Sur PeerIndex, le score moyen est de 19. A 100, l’entreprise considère que vous êtes l’égal de Dieu.

kloutreport
Image : Le rapport Klout d’InternetActu… Pas encore Dieu ! ;-)

Ces entreprises sont encore en train d’affiner leurs méthodologies – en travaillant les données et en faisant entrer dans le calcul d’autres réseaux en ligne. Ce mois-ci, Klout a annoncé commencer à incorporer les profils LinkedIn.
Les gens du marketing y voient une promesse. Plus de 2 500 entreprises utilisent les données de Klout. Il y a 15 jours, Klout a révélé qu’Audi allait offrir des promotions à des usagers de Facebook sur la base des scores d’influence. L’an dernier, la compagnie d’aviation Virgin America les a aussi utilisés pour offrir aux influenceurs les mieux notés de Toronto des vols gratuits pour San Francisco et Los Angeles. A Las Vegas, certains hôtels ont aussi recourt à Klout pour offrir des billets gratuits à leurs clients les plus influents.
Pour Joe Fernandez, le cofondateur de Klout : “pour la première fois, nous jouons tous sur le même terrain. Pour la première fois, l’influence n’est plus affaire d’argent ou d’apparence. Ce qui compte, c’est ce que vous dites et comment vous le dites.”

Comment devient-on un influenceur, se demande la journaliste ? Après avoir analysé l’an dernier 22 millions de tweets, des chercheurs de Hewlett-Packard ont montré qu’il ne suffit pas d’attirer des followers, il faut aussi donner envie à ces followers de se mettre en action. Les inciter à essayer le yoga Bikram ou à partager une recette de tarte. En d’autres termes, l’influence est affaire d’engagement et de motivation, pas seulement d’amoncellement de followers.

Les professionnels disent qu’il est aussi important de concentrer notre présence numérique sur un ou deux centres d’intérêt. Ne soyez pas généraliste ! Plus important encore : soyez passionné, érudit et fiable.
Malgré tout, l’établissement de ces scores demeure subjectif et encore imparfait : la plupart des entreprises qui se livrent à ce type d’analyse se réfèrent seulement aux comptes Twitter et aux profils Facebook, laissant de côté les autres activités en ligne, comme le fait de bloguer ou de poster des vidéos sur Youtube. Comme l’influence dans le monde hors ligne, qui n’est pas non plus prise en compte.

Un des dirigeants de PeerIndex appelle ça le “problème Clay Shirky”, en référence à l’écrivain et théoricien des réseaux bien connus, qui n’utilise pas beaucoup Twitter. “Évidemment, il a une influence massive, explique ce dirigeant, mais dans les conditions actuelles, son score sur PeerIndex est très mauvais.”

Un analyste en stratégie numérique a écrit il y a quelques mois qu’utiliser une seule métrique pour évaluer l’influence était dangereux. Il expliquait que Klout “manque l’analyse des sentiments” – l’usager qui génère beaucoup de conversation numérique récolte un grand score même si ses propos sont très mal reçus. Par ailleurs, la seule métrique peut-être trompeuse : quelqu’un avec peu d’expérience sur Twitter peut obtenir un gros score s’il poste une vidéo sur YouTube qui devient virale.
Plus largement, d’autres s’inquiètent du fait que nous serions en train de créer un système de classe dans les médias sociaux, où les gens avec de bons scores seraient mieux traités par les commerciaux, les employeurs potentiels, et même leurs possibles amants.

Il n’est donc pas étonnant que certains essaient de jouer avec leur score. Atteindre un haut niveau d’influence exige du temps et de l’énergie. Et quand votre être de chair et d’os prend un repos mérité, votre moi numérique en paie le prix. “Je suis parti deux semaines en vacances”, explique quelqu’un à la journaliste “et mon score Klout a chuté”.

Xavier de la Porte
Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.
L’émission du 10 juillet 2011 était consacrée à la 3e édition de la conférence Lift France avec trois invités qui utilisent les nouvelles technologies pour changer le monde.
Gaël Musquet, contributeur militant d’Open Street Map, un système de cartographie ouvert dont les implications dans un grand nombre d’applications transforment notre rapport au territoire.
Geoffrey Dorne, designer, animateur de l’excellent Graphism.fr, chercheur au laboratoire IDN de l’Ensad où il développe le projet NEEN (non-verbal emotional experience of notification – expérience de notification émotionnelle non-verbale) et qui montre une autre forme d’utilisation des nouvelles technologies, pour qu’elles deviennent plus douces, moins intrusives.
Guilhem Chéron, designer culinaire, avec La Ruche qui dit oui, utilise, lui, les nouvelles technologies pour changer notre façon de manger.

2011/07/04

Le déclin du pseudonyme

La lecture de la semaine nous vient du magazine en ligne Salon, et elle est de circonstances. Elle s’intitule “Le déclin du pseudonyme” et on la doit à Carmela Ciuraru (blog), qui est critique littéraire et vient de publier une histoire du pseudonyme. L’article, tout en se concentrant sur l’usage du pseudonyme en littérature, offre des perspectives intéressantes pour comprendre les raisons de sa force dans les réseaux.




Nomdeplume “A son niveau le plus basique, un pseudonyme est une sorte de farce. Pourtant, les mobiles qui poussent les auteurs à en adopter un sont infiniment complexes, parfois mystérieux pour eux-mêmes. Les noms sont chargés, pleins de pièges et de possibles, et peuvent faire obstacle à l’écriture. Virginia Woolf, qui n’a jamais pris de nom de plume, a dit un jour la condition fondamentale de l’auteur, condition qui rend fou : “Ne jamais être soi-même, et pourtant l’être toujours, c’est le problème.” Un changement de nom, comme un changement de paysage, peut donner l’occasion d’un nouveau départ.

Dans une certaine mesure, explique Carmela Ciuraru, toute écriture suppose impersonnalisation – la convocation d’un “Je” d’autorité pour fabriquer le locuteur d’un poème ou les personnages d’un roman. L’audacieux poète Walt Withman arrivait à explorer d’autres voix simplement en tant que lui-même. Il embrassait ses multiples possibles. Mais d’autres écrivains ne sont pas capables d’une telle alchimie, ou ne la désirent pas, sans le recours à un alter ego. Si le “Je” qui s’exprime est une construction, jamais intégralement authentique quel que soit le degré d’autobiographie du texte, le recours au pseudonyme permet d’élever cette notion à un autre niveau, en inventant la construction de la construction. Comme l’a écrit Joyce Carol Oates en 1987 dans le New York Times, “La culture d’un pseudonyme peut être comprise comme une sorte de culture in vivo d’une voix narrative qui sous-tend tout travail sur les mots, en le rendant unique et inimitable.”

La fusion d’un auteur et d’un alter ego est une chose imprévisible, selon Carmela Ciuraru. Cela peut devenir comme un mariage, un partenariat fidèle et robuste, ou se révéler une histoire d’amour courte et enivrante. Néanmoins, l’attirance est évidente et indéniable. Entrer dans un nouveau corps ressortit à l’élan érotique. Historiquement, beaucoup d’auteurs étaient des étrangers, vivaient seuls : habiter un autre être leur offrait une intimité qu’ils n’auraient obtenue autrement. En l’absence d’un compagnonnage dans la vie réelle, l’entité pseudonymique peut servir de confidente, de gardienne des secrets, et de bouclier protecteur.

Dans son livre important The Inner Game of Tennis, publié en 1974, Thimoty Gallwey (site) a appliqué la notion de dédoublement au joueur de tennis, en décrivant comment chaque entité entrave ou favorise la performance. Ce qu’il fournit c’est une sorte de guide pour s’améliorer au tennis, mais sans conseil technique. Il se concentre sur ce qu’il décrit comme les deux arènes de l’engagement : le Moi 1 et le Moi 2. Et Carmela Ciuraru de noter que quand le livre est sorti en 1974, des milliers de gens ont écrit à l’auteur qu’ils avaient appliqué avec succès ses préceptes à bien d’autres choses que le tennis, à l’écriture par exemple. Voici comment Gallwey, qui avait été diplômé de Harvard en littérature, décrit le Moi 1 : il est celui qui parle, le critique, la voix qui surveille, il fait montre de son obstination et son inventivité à barrer la route. Le Moi 1 vous admoneste, il vous considère comme une erreur incorrigible. Mais le Moi 2, lui ne juge pas, il représente la libération dans sa forme la plus pure, il pousse à l’action, il est capable de toute la gamme des sentiments, il peut se révéler extrêmement prolifique. On voit bien ce que, dans le contexte littéraire, le potentiel libérateur d’un Moi numéro 2 peut apporter. Un pseudonyme peut donner à un écrivain la distance nécessaire pour parler avec honnêteté, mais il peut tout aussi bien lui donner la permission de mentir. Tout est possible. Et l’auteur de donner plusieurs exemples sur lesquels je suis obligé de passer, pour en arriver directement aux derniers paragraphes.

Au milieu du 19e siècle, explique Carmela Ciuraru, ce curieux phénomène du pseudonymat a atteint son plus haut niveau, et comme depuis le milieu du 16e siècle, il était habituel pour un texte d’être publié sans nom d’auteur. Il est intéressant que le déclin du pseudonyme au 20e siècle coïncide avec la généralisation de la télévision et du cinéma. Les gens ayant eu accès à la vie des autres, il est devenu plus compliqué de préserver une vie privée – et peut-être moins désirable. Dans la culture contemporaine, aucune information paraît trop personnelle pour être partagée (ou appropriée). La téléréalité a accru notre appétence à “connaître” les gens célèbres, et les auteurs eux-mêmes ne sont pas immunisés contre les pressions de la promotion personnelle et la révélation d’eux-mêmes ; nous vivons à une époque où, comme le biographe Nigel Hamilton l’a écrit “l’identité propre d’un individu est devenue le centre de beaucoup de discussions.”

Ce n’est pas complètement nouveau, mais avec l’explosion des technologies numériques, poursuit l’auteure, les choses sont entrées dans une spirale incontrôlable. S’exprime bruyamment le désir qu’ont les fans d’interagir, en ligne et personnellement, avec leurs auteurs préférés, dont on attend en retour qu’ils bloguent, qu’ils signent des autographes, qu’ils posent avec l’air joyeux pour les photographes et les événements promotionnels. En même temps que leurs livres, les auteurs eux-mêmes sont vendus comme des produits. Même si la pratique du pseudonymat reste importante, elle a perdu son allure d’antan, et se cantonne à des genres comme le polar et la littérature érotique. Aujourd’hui, user d’un nom de plume est une entreprise qui relève moins du jeu et de la création que du marketing.
Xavier de la Porte
Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.
L’émission du 3 juillet 2011 était consacrée à la question de l’anonymat sur internet avec Jean-Marc Manach, journaliste à Owni.fr, animateur du blog Bug Brother sur lemonde.fr et auteur de La vie privée, un problème de “vieux cons” ? et Fabrice Mattatia, Responsable d’investissements numériques à la Caisse des dépôts, a été conseiller au cabinet de la secrétaire d’Etat à l’économie numérique et s’est occupé du projet de carte d’identité numérique INES au ministère de l’Intérieur.
L’émission était également consacrée aux Flops technologiques, avec Nicolas Nova, chercheur, enseignant et consultant au Lift Lab et auteur du livre éponyme qui vient de paraître chez FYP éditions.

2011/06/27

Facebook: un espace public avec une police privée

La lecture de la semaine, il s’agit d’un article de Mathew Ingram qui est journaliste. Il a été mis en ligne le 21 juin sur GigaOm et s’intitule “The downside of Facebook as a public space : censorship” (”l’inconvénient de Facebook comme espace public : la censure”).




Les bénéfices à être sur Facebook, commence le journaliste, sont aujourd’hui assez évidents : on peut être en relation avec notre famille et nos amis, partager toutes sortes de choses avec eux, et gratuitement. Mais ce quasi-espace public est aussi possédé et contrôlé par une entreprise qui a sa propre conception de la manière dont on doit se comporter. Cela pose inévitablement des questions sur le degré de censure qui est pratiqué par le site – des questions qui ont refait surface il y a une dizaine de jours quand la page Facebook du critique de cinéma Roger Ebert a disparu, et quand un groupe de militant britannique a vu ses contenus bloqués. Qui surveille les surveillants ? se demande Mathew Ingram.

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Image : Comment Facebook bloque-t-il des contenus ? L’exemple de la page de l’organisation britannique J30 Strike.

Et le journaliste raconte les faits. Roger Ebert a essuyé une salve de critiques suite à la mort d’une star de la série Jackass, qui s’est tuée dans un accident de voiture. Ebert – qui s’est inscrit sur Twitter après une opération d’un cancer qui a entraîné la perte de sa mâchoire inférieure, et qui compte aujourd’hui 475 000 followers – a écrit un tweet moqueur qui lui a attiré les foudres des autres membres de Jackass et du blogueur star Perez Hilton. Le critique cinéma a ensuite tweeté que sa page Facebook avait été retirée (même si ses commentaires sur Twitter n’y étaient jamais apparus) et remplacée par un message d’erreur expliquant que la page avait supprimée suite à des violations des conditions d’usage de Facebook qui proscrivent tout contenu haineux, menaçant ou obscène et les attaques ciblant des individus ou des groupes. En réponse, Ebert a dit que sa page Facebook était inoffensive et a tweeté : “Pourquoi avez-vous retiré ma page Facebook à cause de connards anonymes ?” Facebook a répondu que la page avait été fermée par erreur, et elle a été rétablie. Mais, comme l’avait noté dans un post Jilian York, de Global Voices Online, l’erreur qui a entraîné la disparition de la page n’est pas clairement expliquée. A-t-elle été retirée automatiquement ou après avoir été désignée comme injurieuse ? York – qui a travaillé dans le passé sur la manière dont des pages Facebook de dissidents du Moyen-Orient et d’ailleurs avaient disparu – explique que Facebook nie que ces retraits soient automatiques. Faut-il donc considérer qu’il y a derrière cela une erreur humaine ? Et si tel est le cas, quelles mesures l’entreprise prend-elle pour que cela ne se reproduise pas à l’avenir ?

Si des gens hostiles au Tweet de Ebert ont signalé de manière répétée sa page Facebook, ils ont suivi la même méthode que celles de certains gouvernements qui essaient de faire taire la dissidence : le bien connu Evgeny Morozov a récemment dit qu’il connaissait au moins un état qui désignait les pages Facebook des dissidents comme pornographiques dans le but de les faire fermer. Facebook a aussi retiré par le passé des pages considérées comme anti-musulmanes ou anti-israéliennes – pour parfois les réinstaller ensuite – et aussi fait disparaître des contenus plus inoffensifs, comme des pages consacrées à l’allaitement maternel.

Mais Facebook ne se contente manifestement pas de fermer des pages d’usagers. Selon le post d’un des organisateurs britanniques d’une manifestation anti-gouvernement, un grand nombre d’usagers ont rapporté que Facebook avait non seulement bloqué les liens vers le site internet du groupe, mais vers un post de blog qui y faisait référence. Un porte-parole du réseau social a expliqué qu’il s’agissait aussi d’une erreur, et elle été corrigée. Mais encore une fois, note le journaliste, le type de l’erreur n’était pas clairement décrit. Tout comme ne sont pas clairs les critères de Facebook pour prendre ces décisions.

Comme le note le blogueur britannique dans le billet qui raconte l’incident, Facebook “devient l’espace dans lequel les gens reçoivent l’information, même celle qui concerne la vie politique”. Ingram reprend : nos vies publiques et l’information qui nous alimente passent de plus en plus par des réseaux sociaux comme Facebook ; et plus ils deviennent puissants – comme on l’a vu lors des révolutions arabes – plus notre information est filtrée par une entité privée, avec ses propres désirs et ses propres règles, dont aucun ne sont évidents. Les implications de tout cela sont profondes, conclut le journaliste.

Intéressant papier, me semble-t-il, qui dit bien l’ambiguïté d’un espace public qui n’est pas public, d’un espace public dont les règles ne sont pas, non seulement le fruit de discussions entre les usagers, mais ne sont pas clairement données à tous. Bien sûr, il y a les conditions générales d’usage, que personne ne lit, mais, au-delà, qui décide vraiment de leur interprétation (tout texte de loi nécessite interprétation) et de leur respect ? Je trouve assez terrifiante cette description de Facebook. Un espace public avec une police privée, invisible, et toute puissante.
Xavier de la Porte

Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.
L’émission du 26 juin 2011 était consacrée à Internet Archive, avec son fondateur Brewster Kahle et au hacking artistique du groupe tchèque Ztohovenen compagnie de Jérôme Thorel.

2011/06/13

Le risque de l’individualisation de l’internet

La lecture de la semaine, il s’agit d’une petite partie d’un article paru dans la New York Review of Books. Intitulé “Mind Control and the Internet” (Internet et le contrôle de l’esprit), l’article de Sue Halpern consiste, comme c’est le cas la plupart du temps dans la New York Review of books, en le développement d’une thèse qui s’appuie sur la critique de plusieurs livres récemment parus. Je n’ai gardé qu’un passage de ce long article, celui où Sue Halpern recense le livre de Eli Pariser, The Filter Bibble : What the Internet Is Hiding from You.




Ce livre montre notamment que depuis décembre 2009, Google vise à donner à toute requête effectuée sur le moteur de recherche un résultat qui corresponde au profil de la personne qui fait la recherche. Cette correspondance s’applique à tous les usagers de Google, même si elle ne prend effet qu’après plusieurs recherches, le temps qu’il faut à l’algorithme Google pour évaluer les goûts de l’usager.

The Filter BubbleEn d’autres mots, le processus de recherche est devenu personnalisé. Ce qui signifie qu’il n’est plus universel, mais idiosyncrasique et impératif. “Nous pensons tous que quand nous googlons un mot, explique Pariser, tout le monde a les mêmes résultats – ceux que le fameux algorithme de Google, PageRank considère comme faisant autorité du fait qu’un grand nombre de liens pointe vers eux.” Avec la recherche personnalisée, poursuit Pariser “vous obtenez le résultat que l’algorithme de Google pense être le plus adapté à vous en particulier – mais quelqu’un d’autre verra apparaître d’autres résultats. En d’autres mots, il n’y a plus de standard Google”. Sue Halpern fait une analogie éclairante : c’est comme si en cherchant le même terme dans une encyclopédie, chacun trouvait des entrées différentes – mais personne ne s’en apercevant car chacun étant persuadé d’obtenir une référence standard.

Parmi les multiples conséquences insidieuses de cette individualisation, il en est une qui inquiète plus particulièrement Sue Halpern, elle explique : “en adaptant l’information à la perception que l’algorithme a de ce que vous êtes, une perception qui est construite à partir de 57 variables, Google vous adresse un matériau qui est susceptible de renforcer votre propre vision du monde et votre propre idéologie. Pariser raconte par exemple qu’une recherche sur les preuves du changement climatique donnera des résultats différents à un militant écologiste et au cadre d’une compagnie pétrolière, et donnera aussi un résultat différent à quelqu’un dont l’algorithme suppose qu’il est démocrate, et à un autre dont l’algorithme suppose qu’il est républicain (évidemment, pas besoin de déclarer qu’on est l’un ou l’autre, l’algorithme le déduit de nos recherches). De cette manière, poursuit Sue Halpern, l’internet, qui n’est pas la presse, mais qui souvent fonctionne comme la presse en disséminant les informations, nous préserve des opinions contradictoires et des points de vue qui entrent en conflit avec les nôtres, tout en donnant l’impression d’être neutre et objectif, débarrassé de tous les biais idéologiques qui encombrent le traitement de l’information dans la presse traditionnelle.”

Et Sue Halpern de citer une étude récente (.pdf) menée entre 2001 et 2010 au sujet du changement climatique. Cette étude montrait qu’en 9 ans, alors qu’un consensus scientifique s’établissait sur le changement climatique, la part des républicains pensant que la terre se réchauffait passait de 49 % à 29 %, celle des démocrates de 60% à 70 %, comme si les groupes recevaient des messages différents de la science, avec pour conséquence de rendre impossible tout débat public. Et pour Sue Halpen, c’est ce que suggère ce que Elie Pariser raconte sur Google : si ce sont nos propres idées qui nous reviennent quand on fait une recherche, on risque de s’endoctriner nous-mêmes, avec notre propre idéologie. “La démocratie requiert du citoyen qu’il voit le problème du point de vue de l’autre, et nous, nous sommes de plus en plus enfermés dans notre bulle” explique Pariser. “La démocratie requiert de s’appuyer sur des faits partagés, et nous, on nous offre des univers parallèles, mais séparés.”
Sue Halpern poursuit sa diatribe : “Il n’est pas compliqué de voir ce à quoi cela nous mènerait – toute organisation dotée d’un agenda (un lobby, un parti politique, une entreprise, un Etat…) pourrait noyer la chambre d’écho avec l’information qu’elle veut diffuser. (Et dans les faits, c’est ce qui s’est produit à droite avec le changement climatique). Qui s’en rendrait compte ?” Et Sue Halpern de citer les propos que Tim Berners-Lee, l’inventeur du Word Wide Web, tenait récemment dans Scientific American : “Le web tel que nous le connaissons est menacé… Parmi ses habitants qui connaissent le plus grand succès, certains ont commencé à pervertir ses principes… Des états – totalitaires tout autant que démocratiques – contrôlent les comportements en ligne, mettant en danger les droits de l’homme.”

Xavier de la Porte
Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.
L’émission du 12 juin 2011 était consacrée à l’ouverture des données publiques, avec Séverin Naudet, directeur d’Etalab, portail interministériel destiné à rassembler et mettre à disposition l’ensemble des informations publiques de l’Etat via data.gouv.fr et Gabriel Kerneis, doctorant au laboratoire Preuves, Programmes et Systèmes de l’université Paris 7 – Diderot, membre de Regards citoyens, association pour la diffusion et le partage de l’information politique. Elle était également consacrée à la Déconnexion en revenant avec l’écrivain et blogueur Thierry Crouzet, deux mois après le lancement de son expérience de déconnexion totale (voir l’émission du 17 avril).

2011/05/30

Pourquoi 600 millions de personnes se sentent à l’aise dans l’esprit de Mark Zuckerberg ?

La lecture de la semaine n’est pas une lecture, mais plutôt une théorie, dont je ne sais pas si elle est légèrement délirante ou très banale. Mais je vous la livre : mercredi aux alentours de 18h, j’ai compris Facebook, je veux dire que j’ai vraiment compris ce que c’était que Facebook.




Pourquoi mercredi aux alentours de 18h ? Parce qu’à ce moment-là, Mark Zuckerberg, le fondateur et président de Facebook était à la tribune de l’e-G8, et, comme plusieurs centaines de personnes, j’étais dans la salle. Zuckerberg était là fidèle à l’image qu’on se fait de lui : l’air d’un jeune américain de 27 ans, en jean, t-shirt et basket, transpirant sous les spots et sirotant un soda. Il parlait comme on s’attendait à ce qu’il parle : à la fois humble et sûr de lui, consensuel et énervant. Mais, un passage de son intervention a commencé à me mettre la puce à l’oreille. Zuckerberg s’est lancé dans un développement sur ce qui faisait selon lui les deux composantes de l’ADN de Facebook. Ces deux composantes étant pour lui la technologie et le social. “D’ailleurs a-t-il expliqué, j’ai créé Facebook à Harvard où j’étudiais alors non seulement les sciences computationnelles, l’informatique, mais aussi la psychologie. Facebook c’est cela, c’est de la technologie et une appréhension du social”.
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Image : Mark Zuckerberg, PDG de Facebook, lors de l’eG8 Forum, photographié par Arash Derambarsh.
Intéressant me dis-je alors, je ne savais pas que Zuckerberg avait étudié la psychologie. Quelques minutes plus tard, les questions sont ouvertes à la salle, et là, il se produit un phénomène surprenant. Sur la demi-douzaine de questions qui lui sont posées, deux abordent la question des affects ; pas ses affects à lui, mais ceux qui sont mobilisés dans la sociabilité à l’œuvre dans Facebook. A ces deux questions Zuckerberg ne sait pas quoi répondre et même, il ne les comprend pas, il dit ne pas les comprendre. Les écrans donnent à voir en gros plan son visage incrédule, mal à l’aise, lui qui jusque-là semblait dérouler sans encombre un discours parfaitement rodé. Mon voisin me montre alors un texto qu’il reçoit à l’instant même, texto dans lequel un correspondant évoque le syndrome d’Asperger pour expliquer la réaction de Zuckerberg. Que Zuckerberg soit atteint de cette maladie associée à l’autisme est à l’évidence impossible, d’ailleurs, je ne crois pas qu’il s’agissait d’une hypothèse sérieuse. En revanche, il y a dans l’appel à la psychopathologie quelque chose d’assez juste. Et c’est là d’où ma théorie tire sa source. Je suis convaincu que quand nous sommes dans Facebook, nous sommes dans l’esprit de Mark Zuckerberg. Je suis convaincu que Mark Zuckerberg a créé Facebook parce qu’il avait besoin de Facebook, et que Facebook est une manifestation technologique de la Psychée de Zuckerberg. Au moment de la sortie de The Social Network, le film de David Fincher retraçant la naissance de Facebook, l’écrivaine britannique Zadie Smith a écrit dans la New York Review of Books un excellent article sur le film, et, au-delà, sur Facebook. Elle concluait son article en expliquant que Facebook, c’était la vision du monde d’un étudiant de Harvard, mais c’était aussi celle de Zuckerberg. Elle rappelait que Facebook était bleu parce que Zuckerberg était daltonien et que pendant longtemps, le site avait porté la mention “a production by Mark Zuckerberg”. Mais on peut aller au-delà ? Cette manière qu’a Facebook de rationaliser les relations sociales (énonciation du statut amoureux, possibilité de sélectionner les relations, division des amitiés en groupe) semble ressortir à la création d’un espace où les angoisses sont à la fois exprimées et subsumées.
C’est pourquoi je pense que l’on a tort quand on envisage Facebook comme un outil et quand on tente de l’analyser avec le seul prisme de la sociologie. Bien sûr, c’est devenu un outil, car d’autres développeurs sont venus ajouter leur savoir-faire au travail de Zuckerberg, et puis les usagers s’en sont emparés d’une manière qui n’avait sans doute pas été imaginée par Zuckerberg (cf. son rôle politique dans les révoltes arabes). Bien sûr Facebook est né dans un contexte sociologique particulier, celui de Harvard, et a emprunté des formes identifiées sociologiquement (celles de la sociabilité des universités américaines d’élite). Certes Facebook est une entreprise dont les développements sont à comprendre en termes économiques. Mais le vrai mystère de Facebook n’est pas là. Le vrai mystère de Facebook est le même que celui qui touche tout chef d’œuvre artistique.
La question : c’est pourquoi 600 millions de personnes se sentent à l’aise dans l’esprit de Mark Zuckerberg ? Pourquoi 600 millions jouissent manifestement d’être dans l’esprit de Mark Zuckerberg ? Cette question, qui peut paraître étrange, est la même que celle qui pose toute grande œuvre d’art. Pourquoi des millions de gens de par le monde ont-ils lu et continue de lire La Recherche du Temps Perdu, alors que s’y déploie dans ses moindres méandres l’esprit de Proust ? Pourquoi des millions de gens ont-ils écouté et continuent d’écouter Mozart alors que s’y épanouit la folie de Mozart ? Cette triangulation miraculeuse entre un génie névrotique, une forme d’expression parfaitement maîtrisée et un public, l’art nous y a habitués. La technologie un peu moins, et c’est pourquoi Facebook nous trouble autant, c’est pourquoi on ne sait pas très bien comment le prendre. Mais c’est peut-être cela Facebook. Un génie névrotique qu’est Mark Zuckerberg, la maîtrise d’une forme d’expression qu’est l’informatique et la rencontre avec ce qu’est un public dans le monde sans frontières qu’est l’Internet. Facebook est bien autre chose qu’un outil ou un phénomène de société : Facebook, c’est le premier chef d’œuvre de l’art numérique.
Xavier de la Porte
Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.
L’émission du 29 mai 2011 était consacrée à l’eG8 avec Bernard Benhamou, délégué aux Usages de l’Internet au ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur, et au ministère de l’Industrie, avec Divina Frau-Meigs (blog), professeur à la Sorbonne nouvelle, sociologue des médias, qui a publié un ouvrage récent sur Media Matters in the Information Society : towards a human-rights based governance, fruit de ses travaux avec le Conseil de l’europe sur la gouvernance d’internet et Bertrand de La Chapelle, diplomate, directeur des programmes de l’Académie diplomatique internationale, membre du bureau des directeurs de l’ICANN, organisme américain qui gère les noms de domaine.

2011/05/23

Chat vidéo : le futur n’est pas encore tout à fait là…

La lecture de la semaine nous provident de nos amis transhumanistes américains de Sinuglarity Hub, sous la plume de Keith Kleiner. L’article s’intitule “Pourquoi ne chattons-nous pas plus souvent en vidéo ?”.



Un des lieux communs les plus courants des films ou des livres d’anticipation a toujours été la communication téléphonique vidéo ou holographique. De Retour vers le futur à Star Trek, ça a toujours été la manière dont on envisageait l’avenir de la conversation à distance. Pourquoi ne le faisons-nous pas plus aujourd’hui ? se demande Keith Kleiner.

trekmovies
Image : le chat vidéo dans Star Trek via TrekMovie.

Si on nous avait dit il y a dix ans qu’en 2011, tout le monde aurait une webcam dans son salon ou dans sa poche, et que le coût de la communication vidéo s’approcherait de zéro, combien d’entre nous auraient prédit que les gens n’allaient quasiment pas l’utiliser ? Pas moi, en tout cas, dit Keith Kleiner, et pourtant, c’est bien ce qui se passe. Une récente étude du Centre de recherche Pew montre à quel point le chat vidéo est peu utilisé par les Américains. 4 sur 5 n’ont jamais essayé la discussion via une webcam, et 9 sur 10 ne l’ont pas essayé sur leur téléphone. Pourtant, les webcams sont partout, ajoute Keith Kleiner. Dans le moindre ordinateur, dans le moindre smartphone. Et puis, continue l’auteur, dans une journée j’envoie des dizaines de mails, je passe des dizaines de coups de fil, alors que j’utilise la caméra peut-être deux fois par semaine. Pourquoi ça ? Pourquoi les futurologues se sont-ils trompés ? Les gens préfèrent-ils vraiment converser sans se voir ? Est-ce que la conversation écrite ou vocale est plus adéquate à l’interaction humaine ? Ou est-ce qu’il y a une explication sous-jacente ?

Il y a là question de la qualité de l’image, dit Keiner, qui pourrait dissuader d’utiliser la vidéo. Mais on passe notre temps à regarder des vidéos de mauvaise qualité sur internet, et puis, la qualité du son sur les lignes téléphoniques américaines est manifestement très mauvaise et ne dissuade personne d’appeler.
Beaucoup de gens accusent la commodité de l’usage. C’est compliqué à mettre en place une conversation en vidéo phone. Mais est-ce vraiment le cas ? demande Keiner. Lui explique avoir sur son chat Gmail une fenêtre qui lui montre qui de ses relations est joignable par vidéo. Il lui suffit d’un clic pour commencer un chat en vidéo. Et pourtant, il ne le fait pas. L’argument de la commodité n’est pas le bon.

Pour lui, le vrai coupable se cache dans les complexités sous-estimées de l’interaction sociale entre êtres humains. Quand on entame un chat par écrit ou un coup de fil, on ne s’inquiète d’interrompre son interlocuteur, car il y a de grandes chances qu’il puisse répondre : que l’on soit en voiture, en train de cuisiner, de se détendre dans sa salle de bain ou même de parler à quelqu’un d’autre, la plupart d’entre nous ne rechignent pas à entamer un chat ou un coup de fil. Ajouter la vidéo et tout cela change. En ajoutant la vidéo, on demande aux gens de nous laisser les voir, et il est requis de nous plus d’attention. L’interlocuteur ne peut plus conduire, ou se détendre dans sa salle de bain. Il ne peut pas interagir discrètement avec vous tout en continuant à parler à quelqu’un d’autre, à lire un magazine… Ajouter la vidéo change complètement la dynamique sociale, et pas forcément dans le sens voulu.

Une autre barrière est que la plupart du temps, nous ne voulons pas avoir une longue conversation. Le chat vidéo envoie un signal social à la personne, ce signal disant que nous voulons avoir avec elle une “vraie” conversation. Quand ce qu’on veut, c’est juste savoir à quelle heure est la fête ce soir, ou où sont les clés, on ne va pas se lancer dans une conversation vidéo et risquer qu’elle traîne en longueur. Dans ce cas, le chat écrit ou la voix sont plus adéquats. “Et même, explique l’auteur, il m’arrive souvent d’appeler quelqu’un en espérant qu’il ne réponde pas, pour simplement lui laisser un message et lui donner seulement l’information nécessaire. Avec les chats vidéos tels qu’ils fonctionnent aujourd’hui, il n’est pas possible de laisser un message vidéo, ils sont donc inadaptés à l’échange court et strictement informationnel”.
L’avenir de la conversation longue distance exclut-il donc la vidéo ? demande Keith Klainer. Ou alors les futurologues avaient raison et on va s’y mettre un jour ?

Pour lui, le chat vidéo n’est qu’un outil dans l’arsenal des outils de communication que nous avons à notre disposition. Le mail, le chat vocal, le chat écrit, les pokes et les statuts Facebook, les tweets et les chats vidéos appartiennent tous à cet arsenal. Chacun de ces outils est utile dans différentes circonstances, en fonction de la longueur que l’on veut accorder à la conversation, du nombre de gens à qui l’on veut s’adresser et du type de personne avec lequel on veut s’entretenir. Le chat vidéo n’est pas l’outil dominant, mais il offre une expérience impressionnante que trop de gens négligent. “Je l’utilise souvent, dit Kleiner pour discuter avec des collègues qui sont loin. Avant, on faisait ça au téléphone, le fait d’ajouter l’image donne plus d’émotion et de sens à ces conversations”. Quand il s’agit de s’entretenir avec des gens qu’on ne voit pas souvent, la vidéo devient un outil inestimable pour nourrir et renforcer des relations personnelles et professionnelles à distance. Ce sera peut-être ça son usage, selon Kleiner.
Si les chiffres sont encore faibles, ils montrent que l’usage de cet outil futuriste est en train de croître. Selon la même étude menée par Pew, l’usage du vidéo chat a doublé aux Etats-Unis entre 2009 et 2010. “Je ne serais pas surpris que ces chiffres continuent d’augmenter dans les prochaines années”, conclut Kleiner.

Xavier de la Porte
Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.
L’émission du 22 mai était consacrée à André Gunthert (blog), chercheur en histoire visuelle, directeur du Laboratoire d’histoire visuelle contemporaine (Lhivic) et qui dirige également Culture Visuelle, un média d’enseignement et de recherche sur les cultures visuelles.

2011/05/16

Comment nous arrive l’information? Prendre la mesure des liens faibles

La lecture de la semaine, il s’agit – ça faisait longtemps -, de l’éditorial de Clive Thompson dans le magazine américain Wired. Il lance quelques pistes de réflexion pas inintéressantes au sujet une question souvent posée sur les réseaux : comment nous arrive l’information ? Le titre de son papier Buddy System, “le système pote”.



“Un des grands dangers d’Internet, commence Thompson, est ce phénomène très commenté qu’on appelle l’effet “chambre d’écho”. Les gens, s’inquiète-t-on, sont trop souvent en contact avec de gens qui leur ressemblent (phénomène qu’on appelle l’homophilie) et ne rencontrent donc que des informations et des opinions qui renforcent leur avis préalables. Et ça, sans aucun doute, c’est mauvais pour la société, n’est-ce pas ? Si nous voulons être des citoyens responsables – ou des travailleurs créatifs, ou même des interlocuteurs intéressants – nous nous devons d’être régulièrement exposés à des faits nouveaux et des opinions diverses.

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Image : La différence entre liens faibles et liens forts illustrée par Joshua Porter.

Et si, demande Thompson, l’homophilie ne diminuait pas toujours la diversité de notre régime informatif ? Et si l’homophilie pouvait même améliorer cette diversité ? Cette hypothèse surprenante provient d’une étude récente dirigée par des économistes de l’information Sinan Aral et Marshall Van Alstyne. Dans un papier qui sera publié cet été, ils notent que notre perception négative de l’homophilie repose en partie sur les études comme celle, fameuse, que mena Mark Granovetter en 1973 sur les “liens faibles” (.pdf). Granovetter avait demandé à des centaines de gens comment ils avaient trouvé leur dernier emploi et avait découvert que c’était grâce à une tierce personne, une personne qui la plupart du temps était un contact “faible”, quelqu’un d’éloigné. Cela, concluait Granovetter, montre que les liens faibles sont les plus à même de nous apporter des informations nouvelles et des opportunités. Vos amis les plus proches vous ressemblent trop, dit la théorie, vous avez donc de grandes chances de savoir déjà ce qu’ils disent. Quelqu’un avec peu d’amis proches, mais un grand cercle de relations occasionnelles a plus de chances de réussir. Mais Aral et Van Alstyne pensent que ce raisonnement – qui a dominé pendant des décennies – a un grand défaut : il ne tient pas compte de la fréquence à laquelle on parle aux gens.

Leur argument est le suivant, explique Thompson : bien sûr, les liens faibles sont en meilleure position pour nous apporter des informations nouvelles. Mais ils ne le font pas souvent, parce qu’on n’interagit pas avec eux très fréquemment. Une personne relevant du lien faible aura, mettons, cinq fois plus de chance qu’un ami proche de vous surprendre dans une conversation. Mais si vous parlez 10 fois plus souvent avec cet ami proche, les chances qu’il devienne une source valable d’information dépassent soudainement celles du lien faible. En d’autres mots, reprend Thompson, “la bande passante importe”. De plus, vos amis les plus proches ont un avantage du point de vue du capital social : ils savent ce qui a le plus de chance d’être nouveau pour vous et comment formuler les choses pour que vous les écoutiez.
Pour évaluer l’avantage relatif des liens forts, Aral et Van Alstyne ont analysé pendant 10 mois les emails d’une société de recrutement de cadres. Les recruteurs, ont-ils reconnu, prospèrent s’ils sont alimentés par un flux régulier de nouveaux dirigeants, un flux provenant à la fois de collègues à l’intérieur de l’entreprise, et de contacts extérieurs. Les chercheurs ont appliqué au texte de chaque mail un niveau de nouveauté, niveau évalué en fonction de paramètres dont je vous passe les détails. Et de manière très certaine, ils ont découvert que les recruteurs qui étaient reliés à un réseau resserré de contacts relevant de l’homophilie recevaient plus d’informations nouvelles par unité de temps. Soit, comme Van Asltyne le dit lui-même : “Avoir un petit nombre de relations très fréquentes peut être bon pour vous”. Pour autant, il ne s’agit pas de dire que les relations très fréquentes sont forcément supérieures, ajoute Van Alstyne. Il y a des situations dans lesquelles les liens faibles sont plus utiles (pour suivre les relations internationales par exemple). Pour être un citoyen vraiment bien informé, la meilleure méthode est sans doute de cultiver des amitiés très proches provenant de différents milieux – vous bénéficierez alors à la fois de la diversité et du surprenant pouvoir des liens forts.
De toute façon, conclut Thompson, peut-être ne devriez pas vous inquiéter d’avoir autant d’amis qui vous ressemblent. “Ils peuvent encore vous surprendre”.

Voilà pour ce papier ce Clive Thompson qui encore fois nous rassure quant à l’endogamie de notre vie sociale, à la fois en ligne et hors ligne (je rappelle que la chercheuse Stefana Boradbent avait montré que même si nous avions beaucoup d’amis sur les réseaux, nous interagissions la plus grande partie du temps avec les 5 mêmes – dans Place de la Toile et sur InternetActu).
Xavier de la Porte
Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.
L’émission du 15 mai était consacrée à la piraterie et au capitalisme en compagnie de Rodolphe Durand, professeur à HEC Paris et coauteur avec Jean-Philippe Vergne de L’organisation pirate, essai sur l’évolution du capitalisme ainsi qu’aux sites de rencontres avec Marie Bergstrom doctorante à l’Observatoire sociologique du changement et auteur d’un article intitulé “La toile des sites de rencontre en France, topographie d’un nouvel espace social en ligne” dans le numéro d’avril-mai de la revue Réseaux.

2011/05/02

Typographie et attention : vive le Comic Sans MS Bold !

La lecture de la semaine, il s’agit d’un article paru dans le New York Times le 18 avril dernier, on le doit à Benedict Carey.



L’article commence par une question piège : est-il plus facile de se souvenir d’un fait nouveau quand on le lit dans une police normale ou quand il est écrit en gros caractères gras – comme ça ?
La réponse est : peu importe, la taille des caractères n’a aucun effet sur la mémoire, contrairement à ce qu’on pourrait penser. En revanche, la police, elle, a un effet.

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Image : Parmi toutes les polices de caractère, l’une d’entre elle la Comic Sans MS inventée par Vincent Connare pour la société Microsoft en 1995 a été la cible de nombreuses critiques de la part de typographes, tant et si bien qu’il existe un véritable mouvement en ligne pour bannir cette police de caractère.

Des recherches récentes, nous explique Benedict Carey, montrent que les gens retiennent beaucoup plus d’informations quand ils les lisent dans une police qui non seulement ne leur est pas familière, mais en plus n’est pas très facile à déchiffrer. Mais pour le démontrer, le journaliste fait un petit détour par le travail des sciences cognitives.
Les psychologues le savent depuis longtemps, rapporte-t-il, l’instinct est trompeur quand il s’agit d’évaluer notre qualité d’apprentissage. Ce qu’on ressent pendant une séance de travail n’a pas grand-chose à voir avec ce qu’on va en retenir : des concepts qui semblent parfaitement clairs deviennent très confus quand il s’agit de les restituer, alors que d’autres, difficiles à appréhender pendant l’apprentissage, sont aisément mobilisables au moment opportun. Ces dernières années, les chercheurs ont commencé à éclairer les raisons de ce fonctionnement et, dans certains cas, à trouver des moyens de le corriger.

Les études citées par Benedict Carey montrent, en gros, que nous faisons trop confiance à nos capacités d’apprentissage. Et que cet excès de confiance se développe en raison de la tendance naturelle de notre cerveau à trouver des raccourcis – et souvent en le faisant trop vite pour se souvenir de ce qu’il utilise : ce ne sont que des raccourcis ! Je passe sur les détails, vous les retrouverez dans l’article en langue original si cela vous intéresse. J’en viens à ce qui nous intéresse ici. Car des recherches montrent que des éléments extérieurs peuvent aussi créer un sentiment de fausse sécurité. La fluidité par exemple, l’impression que ça va tout seul. Une étude publiée cette année dans la revue Psychological Science, étude dirigée par le Docteur Kornell, montre la force que peut avoir cet effet. Les participants ont étudié une liste de mots imprimés dans des polices de tailles différentes et devaient évaluer lesquels ils retiendraient mieux. Bien sûr, les sujets étaient plus confiants quand il s’agissait de mots écrits en gros caractères. Les résultats furent parfaitement inverses. L’étude a montré que la taille des caractères ne joue en rien. Et il en va de même avec la plupart des types d’apprentissage : la difficulté durcit le muscle cérébral, alors que la facilité ne durcit que la confiance. Et un groupe de chercheur l’a montré de façon éclatante, en utilisant non plus la talle des caractères, mais le type de police.

Une étude récente publiée dans la revue Cognition (.pdf), des psychologues des universités de Princeton et de l’Indiana ont donné à lire à 28 sujets, hommes et femmes, un texte décrivant trois espèces d’aliens, chacune ayant sept caractéristiques, du type “a les yeux bleus ” “mange des pétales de fleurs et du pollen”. La moitié des participants ont étudié le texte en Arial, taille 16, l’autre moitié en Comic Sans taille 12 ou en Bodoni MT taille 12, deux polices qui sont moins familières et plus compliquées à assimiler pour le cerveau. Après une petite pause, les participants subissaient un test. Ceux qui ont été confrontés aux polices les moins faciles ont eu des résultats bien meilleurs que les autres. L’étude a même été élargie à 222 élèves d’une école publique de l’Ohio. Un groupe recevait des documents (des cours d’anglais, de sciences, d’histoire) dans une police inhabituelle le Monotype Corsiva. Les autres dans la police habituelle. Les tests menés après coup ont montré, comme précédemment, que les élèves ayant étudié dans la police rare avaient de bien meilleurs résultats que les autres. Particulièrement en physique.

“La raison pour laquelle les polices inhabituelles sont efficaces est parce qu’elles nous obligent à penser plus profondément à ce que nous lisons” explique Daniel Oppenheimer, coauteur de cette étude. “Changer la police d’un texte et en trouver une qui soit plus difficile à lire vous forcera à être plus attentif.”
Voici pour cet article du New York Times qui est intéressant parce que contre-intuitif. Néanmoins, si on élargit un peu son propos, il n’est qu’une reformulation par les sciences cognitives de la vieille formule : “c’est en souffrant qu’on apprend”.

Xavier de la Porte
Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.
L’émission du 1er mai était consacrée à la mise en place – contestée – du Conseil national du numérique avec Jeanne Tadeusz, responsable des affaires publiques de l’April (Association pour promouvoir et défendre le logiciel libre) qui s’est inquiétée de la création du CNN. L’émission s’intéressait également à la Culture Geek avec Samuel Archibald, professeur au département d’études littéraires de l’université du Québec à Montréal auteur notamment d’une “Epitre aux Geeks” ; Denis Colombi, agrégé de sciences sociales, professeur de sciences économiques et sociales, doctorant en sociologie et auteur d’un blog intitulé Une heure de peine sur lequel il a publié “Aux sources de la culture geek” et Sabine Blanc, journaliste à Owni. Et enfin à l’histoire de l’arobase, avec Sébastien Roussel, journaliste et administrateur du site arobase.org.

2011/04/18

Que se passera-t-il le jour où les ordinateurs seront plus intelligents que les humains ?

La lecture de la semaine, il s’agit d’un article extrait du numéro d’avril du magazine The Walrus, mensuel canadien de Toronto. On le doit à Alex Hutchinson et il s’intitule “Déficit d’intelligence : que se passera-t-il le jour où les ordinateurs seront plus intelligents que les humains ?”




Un jour dans le siècle qui vient – et peut-être plus tôt que vous ne croyez, commence Hutchinson – des chercheurs arriveront sans doute à créer une intelligence artificielle plus performante que la nôtre. Ce qui adviendra ensuite, c’est la question que tout le monde se pose – et nous ne sommes tout simplement pas assez intelligents pour comprendre, ou seulement prédire, ce qu’une intelligence surhumaine choisira de faire. Mais il y a une chance raisonnable pour que cette intelligence artificielle éradique l’humanité, soit par pure malveillance, soit dans une tentative maladroite de se rendre utile. La Fondation Lifeboat de Minden, dans le Nevada, cherche à repousser cette possible calamité en développant une “Intelligence artificielle amicale”.

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Image : La page d’accueil de la Lifeboat Fondation.

L’auteur rappelle que Vernor Vinge, le mathématicien et informaticien américain, avait nommé ce moment de l’histoire la “Singularité technologique” et qu’il l’imaginait advenir avant 2030. Ray Kurzweil, autre penseur bien connu de la Singularité, estime qu’elle se produira en 2045. Quant à l’auteur de science-fiction canadien Robert J. Sawyer, l’auteur de la trilogie WWW (Wake, Watch, Wonder, du nom des trois volumes de la série consacrée à la Singularité), il la voit arriver à l’automne 2012.

C’est à ce dernier que s’intéresse particulièrement cet article, car Sawyer, non content d’être un auteur de science-fiction à succès, siège à la Fondation Lifeboat. Et comme Sawyer est connu pour un travail de romancier très documenté, ça rend les objectifs de la Fondation Lifeboat moins farfelus qu’il n’y paraît.

Alex Hutchinson résume ensuite les intrigues de la trilogie WWW de Sawyer (dont seulement les deux premiers tomes – L’éveil suivit de veille -sont disponibles en français dans la célèbre collection de SF “Ailleurs et Demain” de Robert Laffont), qui reposent principalement sur l’idée qu’une conscience émergerait spontanément des réseaux, d’une manière que certains chercheurs estiment plausible d’ailleurs. La trilogie pose deux questions qui sont reliées, mais néanmoins distinctes. Si l’émergence d’une conscience dans les réseaux advenait : que feraient les humains ? Et que devraient-ils faire ?
En principe, l’avènement d’une intelligence artificielle capable de diriger le monde serait plutôt une bonne nouvelle. Le mathématicien britannique Irving John Good a écrit en 1965 dans un papier qui a fait date : “La première machine ultra-intelligente sera la dernière invention de l’homme”. La raison qu’il avance est la suivante : toute machine plus intelligente que nous sera aussi plus capable que nous de construire une intelligence artificielle, elle sera donc en mesure d’améliorer toute seule ses propres capacités, dans une sorte de processus de perfectionnement auto-généré. Good a appelé ce phénomène intelligence explosion, “l’explosion intelligente”, Vernor Vinge lui a donné un autre nom hard take off, le “décollage difficile”. En un court laps de temps, toute super intelligence artificielle évoluerait d’un état à peine supérieur au nôtre à un état très largement supérieur – et l’équilibre des pouvoirs entre les hommes et leurs anciens outils basculerait tout aussi vite.
Et on peut tout à fait voir là une menace pour l’humanité. Sawyer a écrit un jour dans un article : “si nous fabriquons des machines plus intelligentes que nous, pourquoi accepteraient-elles d’être nos esclaves ? [...] Les ordinateurs doués de pensée sont une vraie menace pour la perpétuation de notre espèce.”


Cela dit, il semble assez simple de prévenir cette menace, par exemple en appliquant les trois règles de la Robotique, qu’Isaac Asimov a édictées en 1942 :
  • 1. Un robot ne peut blesser un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger.
  • 2. Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres sont en contradiction avec la Première Loi.
  • 3. Un robot doit protéger sa propre existence tant que cette protection n’entre pas en conflit avec la Première Loi ou la Seconde.
Sauf qu’appliquer ces règles pose tout un tas de problèmes qu’Asimov a lui-même relevés. Un robot peut-il nuire à un être humain si cela permet de ne pas nuire à un grand nombre d’êtres humains ? Si oui, selon quel critère doit-il l’évaluer ? Ou encore – comme Jack Williamson, un autre auteur de science-fiction l’a proposé dans sa série Les Humanoïdes – que faire si des robots programmés pour prémunir les hommes de toute destruction décidaient d’emprisonner toute l’humanité parce que nombre d’activités quotidiennes portent en elles le risque de la destruction ?
La Fondation Lifeboat divise les menaces potentielles en trois grandes catégories.
La première est une intelligence artificielle délibérément programmée pour faire le mal, sous les ordres d’un créateur malfaisant. Un danger qui est réel, mais pas très différent de tous ceux qui accompagnent beaucoup d’autres formes de technologies avancées.

La deuxième catégorie est une intelligence artificielle dévoyée qui se retournerait contre ses créateurs, un scénario courant dans la science-fiction (comme HAL 9000 dans 2001, L’Odyssée de l’espace). Mais les analyses de Lifeboat estiment cette hypothèse assez improbable, car elle supposerait qu’une intelligence artificielle serait lestée de tout le bagage psychologique propre à l’humanité. Or, l’agressivité, la jalousie, la préservation de soi sont toutes des propriétés qui se sont forgées dans le creuset de l’évolution, et ne seraient pas les caractéristiques d’une intelligence artificielle, à moins qu’on ne les ait délibérément programmées.

Mais il existe une troisième catégorie de menace, moins évidente, et plus difficile à rejeter : une super intelligence artificielle qui est bien intentionnée, mais nous balaie par inadvertance, comme un chiot trop vite grandi renverse une table d’un coup de queue enthousiaste. La Fondation Lifeboat donne un exemple simple : un ordinateur programmé pour éradiquer la malaria qui accomplit sa mission en supprimant tous les mammifères. Et on entre là dans un débat qui agite bien au-delà de Lifeboat. Car cette question est bien compliquée, nous dit Hutchinson.

D’abord, une intelligence artificielle consciente d’elle-même est qualitativement différente d’un ordinateur le plus puissant soit-il. On peut demander à Google Maps le meilleur trajet pour aller chez Grand-Maman, et nous avons des GPS qui prennent en compte le trafic et le prix des péages. Mais même si les ordinateurs parviennent de mieux en mieux à nous dire comment faire les choses, et même s’il faut les faire, ils demeurent incapables de formuler leur propre jugement sur le fait de savoir si faire ces choses est bien ou mal. Ceux qui craignent la Singularité avancent que nous sommes incapables de programmer des ordinateurs avec des valeurs humaines pour la simple raison que les valeurs humaines ne peuvent pas se réduire à un algorithme.

Tout cela est connu sous le nom de “problème de l’intelligence artificielle amicale”. Savoir s’il est insoluble, s’il est compliqué, mais soluble, s’il relève de la pure paranoïa, tout cela constitue un débat récurrent et acharné au sein de la communauté des chercheurs en intelligence artificielle. Mais ce débat sera caduc si les développeurs de la première intelligence artificielle de niveau humain ne font pas l’effort d’incorporer des règles semblables à celles d’Asimov dans leurs créations. Etant donné qu’aujourd’hui, les machines les plus avancées naissent des laboratoires privés et militaires, il n’est pas certain que ce soit le cas.
Xavier de la Porte
Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.
L’émission du 17 avril était consacré à “Peut-on éteindre l’internet ?” c’est-à-dire à essayer de comprendre comment on peut arrêter le réseau des réseaux, avec Jérémie Zimmermann, ingénieur consultant en technologies collaboratives et responsable associatif à l’April, organisation de promotion et de défense du logiciel libre, cofondateur et porte-parole de la Quadrature du Net, organisation de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet et Stéphane Bortzmeyer, informaticien et ingénieur au service R&D de l’Afnic.

2011/04/04

Du racisme ordinaire… online

Il y a quelques semaines, je vous avais parlé de la South by SouthWest Interactive Conference qui se déroule chaque année au Texas. Parmi les très nombreux sujets qui y ont été abordés dans l’édition 2011, celui du racisme en ligne. Je tire ce compte-rendu de The Chronicle, sous la plume d’un jeune journaliste du nom de Jeff Young.



Un très célèbre dessin du New Yorker, commence Jeff Young, a pendant longtemps résumé le pouvoir anonymisant du cyberspace : “Sur Internet, personne ne sait que vous êtes un chien”. Mais, continue le journaliste, dans certains jeux vidéos célèbres et dans des mondes virtuels comme Second Life, des outils permettant aux gens de se parler ont été ajoutés ces dernières années. Et l’addition de voix humaines a amené les participants à catégoriser leurs interlocuteurs, souvent sur une base raciale. Telle est la conclusion des travaux menés par Lisa Nakamura, qui est professeur d’études asiatico-américaines à l’Université d’Illinois. Une des études les plus récentes citées par Lisa Nakamura a été réalisée par Gambit, un laboratoire sur les jeux vidéos sous l’égide conjointe du Massachusetts Institute of Technology et du gouvernement de Singapour.



Vidéo : La vidéo de l’expérience réalisée par le laboratoire Gambit qui fait lire par des joueurs certains propos qu’ils ont reçus ou écouter en jouant.

Lisa Nakamura a dit avoir été surprise par de nouvelles formes de racisme émergeant dans des jeux vidéos en ligne auxquels participent des gens du monde entier. Par exemple, en Chine, beaucoup d’utilisateurs gagnent aujourd’hui leur vie en jouant à Lineage 2. Dans ce jeu de rôle d’Heroic Fantasy, ces joueurs chinois remportent des armes virtuelles et les vendent ensuite à des Américains qui n’ont pas assez le temps de jouer pour armer leurs personnages. Beaucoup de ces joueurs chinois choisissent une naine, cette catégorie de personnage ayant le pouvoir de gagner plus facilement des trésors en mission solo. Et donc, certains joueurs commencent par tuer toutes les naines du jeu, en ajoutant souvent des propos anti-chinois dans la section chat.

“Ceci a pour effet, ajoute Lisa Nakamura, que les naines sont devenues une race injouable. Elles sont devenues une minorité raciale, avec un statut qui équivaut à celui du travailleur immigré – ces personnages sont devenus une race. La race n’est pas un concept provenant de la biologie, c’est une affaire une culture”, conclut Lisa Nakamura.
James Au, auteur du livre The making of Second Life, qui intervenait dans cette même table ronde, a dit que les jeux en ligne et les forums où les participants étaient anonymes semblaient se multiplier moins vite ces derniers temps, et que les réseaux les plus populaires, dont Facebook, faisaient apparaître les usagers sous leur identité hors ligne. Quand l’anonymat disparaît, les gens se comportent en général de manière plus civile. “Le passage à une identité en ligne réelle aide à se débarrasser du racisme”, a expliqué James Au.

Tous les participants à cette discussion, poursuit le journaliste, ont expliqué que la question du racisme en ligne était rarement discutée, malgré les manifestations fréquentes d’un discours de haine dans les environnements en ligne. “On ne prend pas suffisamment en compte cette question quand on parle des pouvoirs des médias numériques” a expliqué Jeff Yang, blogueur au San Francisco Chronicle.

Le compte-rendu de The Chronicle est rapide. On aimerait en savoir plus, et on pourra le faire bientôt puisque Lisa Nakamura, la professeure de l’Université d’Illinois qui participait à la table ronde, publie très prochainement un livre sur ces questions. Qu’il y ait du racisme dans les réseaux n’est pas étonnant en soi. J’ai rendu compte ici à plusieurs reprises d’études montrant qu’internet n’abolissait pas les différences de genre, de classe sociale ou de race. Qu’il y ait du racisme antichinois dans les jeux en réseau n’est donc pas étonnant. Un racisme qu’on imagine augmenté par le fait que les Chinois jouent bien et en tirent profit. Que ce racisme se manifeste par l’élimination de personnages particuliers dans les jeux est une conséquence plus inédite. Mais faut-il pour autant constituer ces personnages, en l’occurrence les naines de Lineage 2, en race ? Alors là, je suis un peu sceptique. Certes la race est une notion culturelle, mais cette notion peut-elle s’appliquer à des personnages qui sont virtuels ? Ces personnages de naines sont-ils victimes de racisme ? Ou même d’un génocide, s’il est vrai qu’elles sont éliminées en priorité par les joueurs ? Je ne sais pas. Il faudra lire Lisa Nakamura.

Xavier de la Porte
Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.
L’émission du 3 avril était consacrée à Pixar, avec Hervé Aubron, journaliste, auteur, enseignant à l’Université Paris 3, ancien critique aux Cahiers du cinéma, rédacteur en chef adjoint du Magazine Littéraire, et auteur de Génie de Pixar ainsi qu’au documentaire Pira@tages qui sera diffusé le 15 avril sur France 4 en compagnie d’Etienne Rouillon, rédacteur en chef “Technologies” du magazine Trois Couleurs et réalisateur, avec Sylvain Bergère, dudit documentaire.

Le marché florissant de la censure

La lecture de la semaine a pour titre “The booming business of Internet censorship” soit “le marché florissant de la censure d’Internet”. Il s’agit d’un résumé d’un rapport écrit par Jillan York et un collègue du nom de Helmi Noman. Jillian York travaille au Centre Berkman pour l’Internet et la société, à l’Ecole de droit d’HarvardGlobal Voices et elle signe ce résumé pour Al-Jazira.



Dans presque tout le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, la censure d’Internet est la norme, commence Jillian York. Le niveau de cette censure varie : au Maroc, seule une poignée de sites concernant le Sahara Occidental, ainsi que Google Earth et Livejournal, sont jugés suffisamment subversifs pour être censurés, alors que d’autres pays – comme Bahreïn, le Yémen, la Syrie – censurent allègrement, tant les sites à contenus politiques que sociaux.
Si le filtrage est régi par les pays eux-mêmes, il est rendu possible par des technologies qui sont principalement importées des Etats-Unis et du Canada. C’est le coeur du rapport de Jillian York, dont elle détaille quelques éléments.

A Bahreïn, en Arabie Saoudite, à Oman, au Soudan et au Koweït, les censeurs utilisent le SmartFilter de McAfee (McAfee est une société californienne). C’était aussi le cas de la Tunisie, avant la révolte.

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Image : La page de bloquage de Qatar Qtel quand quelqu’un demande à accéder à un site non autorisé.
Au Yémen, jusqu’à récemment, c’était le logiciel Websense qui était préféré, mais le gouvernement a récemment opté pour un logiciel canadien, Netsweeper, qui est aussi utilisé au Qatar et dans les Émirats Arabes Unis.


Ces outils – Websense, SmartFilter et Netsweeper – tout comme Cisco, qui a les préférences de la Chine – permettent aux censeurs de faire facilement leur travail. Au lieu de bloquer des adresses URL une par une, ils peuvent identifier des catégories (comme pornographie, drogue, tenues provocantes…) et bloquer des milliers de sites d’un seul coup. Rien de surprenant, le système de catégorisation est imparfait, des sites tout à fait inoffensifs se trouvant pris dans la masse. “Mon propre site, explique Jullian York, ainsi que celui de OpenNet Initiative, ont tous les deux étés bloqués par le gouvernement yéménite, qui à l’époque utilisait Websense, soi-disant parce qu’ils accueillaient des contenus pornographiques. Ce n’était le cas pour aucun des deux, et quand on a sommé Websense d’expliquer ce qui se passait, ils ont raconté que des sites avec un nombre significatif de spams contenant des liens vers des sites pornographiques pouvaient se retrouver dans la catégorie pornographie.”


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Image : La page de bloquage des Emirats Arabes Unis quand quelqu’un demande à accéder à un site non autorisé.

Ce qui est très problématique, continue Jillian York, car cela suppose qu’en faisant sur un blog quelques commentaires pointant vers des contenus interdits, on peut facilement faire en sorte que le système le bloque, avec tous les effets imaginables sur la liberté d’expression.
Les technologies de filtrage du web utilisées au Moyen-Orient et en Afrique du Nord sont les mêmes que celles que l’on trouve dans les écoles, les bibliothèques ou les bureaux, d’Europe ou d’Amérique, où le blocage des contenus pornographiques est la norme. Si cette norme est justifiable, il y a là un potentiel pour un blocage plus massif.

Le fait que Websense et Smartfilter soient des logiciels américains pose problème : le programme pour la liberté de l’internet du Département d’Etat américain subventionne, entre autres initiatives, des technologies servant à contourner des logiciels analogues à ceux qui sont exportés par ces mêmes entreprises. Et la Secrétaire d’Etat Américaine Hillary Clinton a fait mention des entreprises américaines spécialisées dans le filtrage lors de son premier discours sur la liberté d’internet en janvier 2010. Elle a déclaré à cette occasion que ces entreprises devaient “prendre une position de principe”. Mais aucune action publique n’a suivi pour freiner l’exportation de logiciels de filtrage. A part Websense – qui stipule que l’usage de son logiciel est interdit aux Etats, à l’exception du filtrage de la pornographie illégale -, aucune de ces entreprises n’a pris de mesures pour interdire l’usage de leurs logiciels aux gouvernements étrangers. Jillian York conclut : “Si le but du programme pour la liberté de l’internet est, comme l’a exprimé Hillary Clinton, d’exporter la liberté du Net, peut-être faut-il commencer par ne plus exporter la censure de l’Internet.”

Xavier de la Porte
“Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.
L’émission du 11 avril était consacrée aux technologies dans l’agriculture avec Rémy Serai, rédacteur en chef de Machinisme & Réseaux, mensuel qui dépend du groupe de presse La France Agricole et au générateur poiétique (site), ce dispositif d’interaction graphique collectif en réseau d’Olivier Auber, cofondateur du Laboratoire Culturel A+H.

2011/03/21

“L’Internet, c’est fini” : la technologie est devenue le soubassement de nos vies

La lecture de la semaine, il s’agit d’un article paru cette semaine dans le quotidien britannique The Guardian, article qui donne une interprétation tout à fait personnelle d’un événement qui a eu lieu aussi cette semaine à Austin, au Texas, la South By SouthWest Interactive Conference. On doit ce papier à Oliver Burkeman et il s’intitule : “The internet is over”“L’Internet, c’est fini”.




“Si mes petits enfants me demandent un jour où j’ai compris que l’Internet, c’était terminé, écrit Oliver Burkeman, je serai en mesure de leur apporter une réponse assez précise : c’était dans un restaurant mexicain, en face du cimetière d’Austin, au Texas, alors que j’avais déjà avalé la moitié d’un Tacos. Cela faisait deux jours que j’assistais à la South By Southwest Interactive, avec comme ligne de conduite de demander à chaque personne que je rencontrais, de manière peut-être un peu trop agressive, ce qu’elle faisait exactement. Qu’est-ce que “l’expérience utilisateur”, vraiment ? Qu’est-ce que c’est que la “gamification de la santé”, vraiment ? Qu’est-ce que c’est que la “stratégie du contenu” ? Mais qu’est-ce que c’est vraiment ? Le spécialiste de la stratégie des contenus qui était assis en face de moi à table a pris une gorgée de cocktail orange. Il m’a regardé légèrement exaspéré et il a dit : “eh ben, je crois qu’on peut dire que ça englobe à peu près tout.”

C’est là, selon le journaliste, l’obstacle fondamental qui empêche les néophytes de comprendre vers où regarde la culture technologique : de plus en plus, elle regarde dans toutes les directions. Tout ce que fabriquent ces gens dans les couloirs de la conférence, ce ne sont plus seulement des contenus qui transforment uniquement la part de notre vie que nous passons devant nos ordinateurs ou avec nos smartphones. On peut le voir sous l’angle technologique, mais aussi philosophique : tous ces gens annoncent la disparition de la frontière entre la vie en ligne et la vie réelle. Pour le dire avec une hyperbole journalistique, explique Burkeman, c’est la fin de l’époque où Internet était une chose à part et identifiable. “C’est ce que j’ai compris quand j’ai compris que cette conférence traitait d’à peu près tout.”

Depuis 1988 au moins on entend parler de ce moment de l’histoire numérique, dit le journaliste, depuis le jour où l’ingénieur de Xerox Mark Weiser a employé l’expression d’“informatique ubiquitaire” en faisant référence au moment où les outils et les systèmes seraient à ce point nombreux et invasifs que “la technologie deviendrait le soubassement de nos vies”. Et cela fait presque dix ans maintenant, ajoute Burkeman, que les épuisants marchands de technologies emploient le terme abstrait de “mobile” pour se référer à la fin d’une informatique qui se limiterait à nos bureaux. Mais l’arrivée d’un Internet vraiment ubiquitaire est quelque chose de nouveau, avec des implications qui sont à la fois exaltantes et sinistres – et d’une certaine manière, cela rend presque absurdes toutes les questions que l’on s’est posées à propos des technologies ces dernières années. Les réseaux sociaux ont-ils été la cause des révoltes arabes ? Le web nous distrait-il de la vie ? Les amitiés en ligne sont-elles aussi riches que celles qui ont lieu dans la vie réelle ? Quand les limites entre la réalité et le virtuel ont disparu, les défenseurs de l’une et l’autre thèse deviennent parfaitement anachroniques.

sxsw2011
Images provenant du flux FlickR du SXSW… Signalons que nombreux étaient les participants français à SXSW dont vous trouverez des comptes rendus par exemple sur le blog du Monde créé pour l’occasion, le FrenchSXSW, ou sur le blog de Marie-Catherine Beuth du Figaro

Et le journaliste du Guardian de faire un petit tour d’horizon de sur quoi il serait plus utile de s’interroger.
Le Web 3.0. L’expression est celle de Tim O’Reilly [en fait, celui-ci a plutôt parlé de web²], déjà à l’origine du web 2.0. Si le web 2.0 était le moment où les promesses collaboratives de l’Internet ont été remplies – à savoir quand les usagers ordinaires ne se sont plus contenté de consommer, mais qu’ils se sont mis à créer, avec des sites comme Flickr, Facebook ou Wikipédia -, le web 3.0, c’est le moment où ils oublient qu’ils sont en train de le faire. Quand le GPS, dans votre téléphone, relaie votre localisation à tous les services que vous aimez, quand Facebook utilise la reconnaissance faciale sur les photos qu’on y poste, quand vos transactions financières sont pistées. Là, quelque chose a changé qualitativement. Vous continuez à créer le web, mais vous n’en êtes plus conscients. “Le web devient le monde, explique Tim O’Reilly. Toute chose, et tout être humain deviennent des ombres informationnelles, projettent des données qui, si elles sont bien captées et intelligemment agencées, offrent d’extraordinaires possibilités.” Possibilités que le journaliste du Guardian trouve inquiétantes dans la mesure où l’on ne sait pas toujours avec qui on partage ces informations.

La “gamification”. Par ce mot, explique Burkeman, on désigne l’utilisation de procédés ludiques, provenant du jeu vidéo, pour garder l’attention et l’engagement de l’usager. Mais dans des secteurs qui n’ont plus rien à voir avec le jeu : l’éducation ou la santé par exemple. Si on comprend bien le principe, les choses deviennent très floues quand on entre dans le détail. Néanmoins, le journaliste cite quelques exemples qui le convainquent que cette tendance est une autre preuve du symptôme identifié : la fin d’une séparation entre la vie réelle et la vie en ligne.

Le dilemme du dictateur. Burkeman reprend là une expression de Clay Shirky, un des gourous d’Internet. Que veut dire Shirky avec cette expression “le dilemme du dictateur” ? Les régimes autoritaires, tout autant que leurs opposants, peuvent exploiter le pouvoir d’Internet concède Shirky, mais l’asymétrie est cruciale. L’Internet est une part à ce point envahissante de la vie des gens que bloquer certains sites – ou carrément fermer Internet comme ont récemment essayé de le faire les gouvernements de l’Egypte ou du Bahrein -peut se révéler parfaitement contre-productif, en augmentant la colère des opposants et en empirant la situation. “L’état ultime de la connectivité, explique Shirky, est ce qui fournit aux citoyens un plus grand pouvoir.”

Le biomimétisme arrive. Le biomimétisme, c’est chercher dans la nature les solutions qu’elle a trouvées à certains problèmes. L’idée n’est pas neuve, explique le journaliste, des architectes et des designers industriels l’ont eue depuis longtemps. Mais à Austin, Burkeman en a vu de multiples exemples : AskNAture, un moteur de recherche qui donne une solution naturelle à un problème (Comment flotter dans l’eau ? Comment se déplacer sur un sol instable ?…) ou Nissan, qui essaie de comprendre le système qui permet aux poissons de ne jamais se percuter pour l’appliquer aux ordinateurs de bord des voitures, ou encore Bank of England qui consulte des biologistes pour appliquer aux systèmes financiers les mécanismes d’immunité dont sont dotés les organismes.

Nous sommes faits pour l’impulsion. Jusqu’à très récemment explique le journaliste, le débat sur la distraction numérique était l’un des plus intéressants : il opposait des nostalgiques de la lecture des livres aux zélotes de la technologie. Mais la fusion du monde virtuel et du monde réel l’a rendu caduque et apporte une réponse simple : l’Internet nous distraie s’il nous empêche de faire ce que nous voulons vraiment faire. Si tel n’est pas le cas, il ne nous distrait pas.

En guise de conclusion, Burkeman explique qu’il y a malgré tout un danger à ce mélange de la vie en ligne et de la vie hors ligne, et il cite là Tony Schwartz, l’auteur de La façon dont nous travaillons ne marche pas : ce danger, c’est la tendance que nous avons à nous considérer comme des ordinateurs, en travaillant des heures d’affilée, sans pause et à grand renfort de café. Mais “nous ne sommes pas faits pour fonctionner comme des ordinateurs, dit Schwartz, nous sommes faits pour l’impulsion. En ce qui concerne la manière de gérer notre énergie, nous devons remplacer la perspective linéaire par une perspective cyclique. Nous vivons sur le mythe que la meilleure façon de travailler est de travailler des heures durant.” Or les recherches de Schwartz montrent que nous ne devrions pas travailler plus de 90 minutes d’affilée avant de nous reposer. Conclusion du journaliste du Guardian : “Quoique vous étiez imaginé de l’infiltration de la culture numérique dans tous les aspects de nos vies, au final, nous ne sommes pas des ordinateurs.”

Xavier de la Porte
Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.
A l’occasion du Salon du livre, l’émission du 20 mars était consacrée au livre et à la littérature en compagnie d’Etienne Mineur et Bertrand Duplat des Editions Volumiques (voir la présentation d’Etienne Mineur à Lift), de Célia Houdart, auteure chez POL, et André Baldinger, concepteur visuel et typographe. Tous deux, avec d’autres, ont créé “Fréquences”, texte d’un genre nouveau à lire, regarder, écouter via une application pour iPhone, le “smartphone” développé par Apple.