2011/05/16

Comment nous arrive l’information? Prendre la mesure des liens faibles

La lecture de la semaine, il s’agit – ça faisait longtemps -, de l’éditorial de Clive Thompson dans le magazine américain Wired. Il lance quelques pistes de réflexion pas inintéressantes au sujet une question souvent posée sur les réseaux : comment nous arrive l’information ? Le titre de son papier Buddy System, “le système pote”.



“Un des grands dangers d’Internet, commence Thompson, est ce phénomène très commenté qu’on appelle l’effet “chambre d’écho”. Les gens, s’inquiète-t-on, sont trop souvent en contact avec de gens qui leur ressemblent (phénomène qu’on appelle l’homophilie) et ne rencontrent donc que des informations et des opinions qui renforcent leur avis préalables. Et ça, sans aucun doute, c’est mauvais pour la société, n’est-ce pas ? Si nous voulons être des citoyens responsables – ou des travailleurs créatifs, ou même des interlocuteurs intéressants – nous nous devons d’être régulièrement exposés à des faits nouveaux et des opinions diverses.

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Image : La différence entre liens faibles et liens forts illustrée par Joshua Porter.

Et si, demande Thompson, l’homophilie ne diminuait pas toujours la diversité de notre régime informatif ? Et si l’homophilie pouvait même améliorer cette diversité ? Cette hypothèse surprenante provient d’une étude récente dirigée par des économistes de l’information Sinan Aral et Marshall Van Alstyne. Dans un papier qui sera publié cet été, ils notent que notre perception négative de l’homophilie repose en partie sur les études comme celle, fameuse, que mena Mark Granovetter en 1973 sur les “liens faibles” (.pdf). Granovetter avait demandé à des centaines de gens comment ils avaient trouvé leur dernier emploi et avait découvert que c’était grâce à une tierce personne, une personne qui la plupart du temps était un contact “faible”, quelqu’un d’éloigné. Cela, concluait Granovetter, montre que les liens faibles sont les plus à même de nous apporter des informations nouvelles et des opportunités. Vos amis les plus proches vous ressemblent trop, dit la théorie, vous avez donc de grandes chances de savoir déjà ce qu’ils disent. Quelqu’un avec peu d’amis proches, mais un grand cercle de relations occasionnelles a plus de chances de réussir. Mais Aral et Van Alstyne pensent que ce raisonnement – qui a dominé pendant des décennies – a un grand défaut : il ne tient pas compte de la fréquence à laquelle on parle aux gens.

Leur argument est le suivant, explique Thompson : bien sûr, les liens faibles sont en meilleure position pour nous apporter des informations nouvelles. Mais ils ne le font pas souvent, parce qu’on n’interagit pas avec eux très fréquemment. Une personne relevant du lien faible aura, mettons, cinq fois plus de chance qu’un ami proche de vous surprendre dans une conversation. Mais si vous parlez 10 fois plus souvent avec cet ami proche, les chances qu’il devienne une source valable d’information dépassent soudainement celles du lien faible. En d’autres mots, reprend Thompson, “la bande passante importe”. De plus, vos amis les plus proches ont un avantage du point de vue du capital social : ils savent ce qui a le plus de chance d’être nouveau pour vous et comment formuler les choses pour que vous les écoutiez.
Pour évaluer l’avantage relatif des liens forts, Aral et Van Alstyne ont analysé pendant 10 mois les emails d’une société de recrutement de cadres. Les recruteurs, ont-ils reconnu, prospèrent s’ils sont alimentés par un flux régulier de nouveaux dirigeants, un flux provenant à la fois de collègues à l’intérieur de l’entreprise, et de contacts extérieurs. Les chercheurs ont appliqué au texte de chaque mail un niveau de nouveauté, niveau évalué en fonction de paramètres dont je vous passe les détails. Et de manière très certaine, ils ont découvert que les recruteurs qui étaient reliés à un réseau resserré de contacts relevant de l’homophilie recevaient plus d’informations nouvelles par unité de temps. Soit, comme Van Asltyne le dit lui-même : “Avoir un petit nombre de relations très fréquentes peut être bon pour vous”. Pour autant, il ne s’agit pas de dire que les relations très fréquentes sont forcément supérieures, ajoute Van Alstyne. Il y a des situations dans lesquelles les liens faibles sont plus utiles (pour suivre les relations internationales par exemple). Pour être un citoyen vraiment bien informé, la meilleure méthode est sans doute de cultiver des amitiés très proches provenant de différents milieux – vous bénéficierez alors à la fois de la diversité et du surprenant pouvoir des liens forts.
De toute façon, conclut Thompson, peut-être ne devriez pas vous inquiéter d’avoir autant d’amis qui vous ressemblent. “Ils peuvent encore vous surprendre”.

Voilà pour ce papier ce Clive Thompson qui encore fois nous rassure quant à l’endogamie de notre vie sociale, à la fois en ligne et hors ligne (je rappelle que la chercheuse Stefana Boradbent avait montré que même si nous avions beaucoup d’amis sur les réseaux, nous interagissions la plus grande partie du temps avec les 5 mêmes – dans Place de la Toile et sur InternetActu).
Xavier de la Porte
Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.
L’émission du 15 mai était consacrée à la piraterie et au capitalisme en compagnie de Rodolphe Durand, professeur à HEC Paris et coauteur avec Jean-Philippe Vergne de L’organisation pirate, essai sur l’évolution du capitalisme ainsi qu’aux sites de rencontres avec Marie Bergstrom doctorante à l’Observatoire sociologique du changement et auteur d’un article intitulé “La toile des sites de rencontre en France, topographie d’un nouvel espace social en ligne” dans le numéro d’avril-mai de la revue Réseaux.

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