2012/01/17

L’accès à l’internet n’est pas un droit de l’homme

La lecture de la semaine, il s’agit d’une lettre envoyée par Vinton Cerf au New York Times et publiée début janvier sous le titre “L’accès à l’internet n’est pas un droit de l’homme”. Pour saisir la portée de ce propos, il faut se souvenir que Vin Cerf (Wikipédia), co-inventeur du protocole TCP/IP, est à ce titre l’un des créateurs de l’Internet.




“Des rues de Tunis jusqu’à la place Tahrir, et encore au-delà, commence Cerf, les manifestations qui ont eu lieu l’an dernier se sont organisées sur Internet et sur les nombreux outils en interaction avec l’internet.

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Il n’est donc pas surprenant qu’elles aient soulevé la question de savoir si l’accès à l’internet est, ou devrait être, un droit de l’homme ou un droit civique. Ce problème est particulièrement prégnant dans les pays dont les gouvernements empêchent l’accès à l’internet dans le but de réprimer les manifestants. En juin, citant les soulèvements au Proche-Orient et au Maghreb, un rapport des Nations-Unies (.pdf) alla jusqu’à déclarer que l’internet était “devenu un outil indispensable pour le respect de toute une catégorie de droits de l’homme”. Ces dernières années, des cours de Justice et des Parlements, dans des pays comme la France et l’Estonie, ont considéré l’accès à l’internet comme un droit de l’homme.

Mais l’argument, même s’il est bien intentionné, passe à côté d’une donnée importante : la technologie est un facilitateur de droits, pas un droit en-soi. Pour que quelque chose soit considéré comme un droit de l’homme, les critères sont exigeants. En gros, cette chose doit appartenir à ce dont les hommes ont besoin pour vivre en bonne santé et librement, comme l’interdiction de la torture et la liberté de conscience. C’est une erreur de faire entrer une technologie dans cette magnifique catégorie, le risque étant d’attribuer de la valeur au mauvais objet. Par exemple, fut un temps où ne pas avoir de cheval rendait difficile de faire sa vie. Mais le droit important dans ce cas était le droit à faire sa vie, pas celui de posséder un cheval. Aujourd’hui, si on m’attribuait le droit de posséder un cheval, je ne sais pas bien où je le mettrais.

Le meilleur moyen de décrire les droits de l’homme est d’identifier les résultats que nous voulons obtenir. Soit, des libertés cruciales comme la liberté d’expression et la liberté d’accès à l’information – et celles-ci ne dépendent d’aucune technologie en particulier et sont valables à toute époque. Cela dit, même le rapport des Nations-Unis, largement salué parce qu’il déclarait l’accès à internet comme un droit de l’homme, reconnaissait que l’internet valait comme moyen d’atteindre une fin, pas comme fin en soi.
Qu’en est-il alors du fait de déclarer que l’accès à l’internet est, ou devrait être, un droit civique ? Le même raisonnement s’applique : l’accès à l’internet n’est encore qu’un moyen d’obtenir quelque chose qui le dépasse. Même si, je le concède, l’argument du droit civique est plus fort que celui du droit de l’homme. Les droits civiques, après tout, diffèrent des droits de l’homme parce qu’ils nous sont conférés par la loi, et qu’ils ne nous sont pas intrinsèques par la seule vertu de notre humanité.

Alors que les Etats-Unis n’ont jamais décrété que tout le monde avait “droit” à un téléphone, nous n’en sommes pas loin avec la notion de “service universel” – l’idée que le service téléphonique (comme l’électricité, et aujourd’hui l’internet) doit être accessible jusque dans les régions les plus reculées du pays. Quand on accepte cette idée, on est tout près de considérer l’accès à internet comme un droit civique, car assurer l’accès relève de la politique gouvernementale.

Cependant, tous ces arguments philosophiques négligent une question fondamentale : la responsabilité qu’ont les créateurs de ces technologies eux-mêmes de soutenir les droits de l’homme et les droits civiques. L’internet a offert une plateforme largement accessible et égalitaire de création, de partage et d’information, et ce, à une échelle planétaire. Résultat, il existe de nouvelles manières pour les gens d’exercer leurs droits humains et civiques.
Dans ce contexte, les ingénieurs ont non seulement l’obligation impérieuse de donner du pouvoir aux utilisateurs, mais aussi l’obligation d’assurer la sécurité des usagers des réseaux. Ce qui signifie par exemple de protéger les usagers contre les dangers spécifiques que sont les virus et les vers qui envahissent en silence leurs ordinateurs. Les technologistes devraient œuvrer dans ce but. Ce sont les ingénieurs – et nos associations professionnelles et les institutions responsables des standards – qui créent et rendent pérennes ces nouvelles aptitudes. De la même manière que nous cherchons à perfectionner la technologie et ses usages dans la société, nous devons être conscients de nos responsabilités civiques, en plus de notre expertise technique. Améliorer l’internet n’est qu’un moyen, quoiqu’important, d’améliorer la condition humaine. Cela doit être fait en considération des droits humains et civiques qui méritent respect – sans prétendre que l’accès en soi relève de ces droits.”
Xavier de la Porte
Xavier de la Porte, producteur de l’émission Place de la Toile sur France Culture, réalise chaque semaine une intéressante lecture d’un article de l’actualité dans le cadre de son émission.
L’émission du 14 janvier 2012 était consacrée à un quinquennat de politique numérique avec Andréa Fradin et Guillaume Ledit, journalistes à Owni, pour leur livre numérique à paraître aujourd’hui, intitulé Partis en ligne qui fait le point sur les rapports qu’entretiennent les deux premiers partis politiques français, à savoir l’UMP et le Parti Socialiste, avec le numérique.

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